C'est un centre unique au monde en Arabie saoudite : dans la banlieue de Riyad, un institut reçoit d'anciens condamnés pour terrorisme afin de les réinsérer dans la société. Un centre de "déradicalisation" qu'ont pu visiter Céline Martelet et Edith Bouvier.
C’est un centre unique au monde, un lieu de prise en charge des anciens détenus condamnés pour terrorisme. Le centre Mohamed Ben Nayef est ouvert depuis 13 ans, en banlieue de Riyad, la capitale du Royaume saoudien. 4 096 personnes y ont déjà été pris en charge. En France, on parlerait d’un centre de déradicalisation. Au pays d’un islam conservateur où la semaine dernière 37 hommes ont été exécutés pour leur lien avec une organisation terroriste, ce centre prône une prise en charge très humaine pour réintégrer ces ex-détenus à la société saoudienne. Rares sont les journalistes qui ont pu le visiter.
Chaque partie du centre est étanche
La visite du centre commence, tout le monde monte à bord d’une voiturette électrique. Le directeur du centre, Yahya Abou Maghayed, est fier de nous faire faire le tour du propriétaire. 160 pensionnaires vivent en ce moment derrière les murs épais de ce centre construit en banlieue de Riyad. Comme partout en Arabie Saoudite, tout y est impeccable. Les fleurs, les pelouses, les oiseaux font presque oublier les barbelés à l’extérieur et les miradors. Les hommes pris en charge ici ont tous été condamnés pour terrorisme, donc les activités sont organisées pour que les pensionnaires les plus radicaux ne soient pas mélangés aux autres. Chaque partie du centre est étanche, les hommes ne peuvent pas se croiser. La justice saoudienne est loin d’être clémente et les peines infligées pour terrorisme s’étalent de 6 mois pour soutien à l’idéologie, jusqu’à 20 ans et plus dans certains cas de préparation d’attentats.
Depuis 2004 et après plusieurs attaques terroristes sur son sol, les autorités saoudiennes ont décidé de mettre en place un programme d’accompagnement des terroristes. Le docteur et psychologue Meshal Maguil justifie la méthode : "trois mois de prise en charge, ça peut vous paraître court face à des années d’endoctrinement, mais le plus important pour nous c’est de leur ouvrir les yeux sur les problèmes qu’il a et de continuer à travailler après la sortie du centre de prise en charge".
On ne parle pas de détenus mais de "pensionnaires"
Ici, même si les conditions de sécurité sont très strictes, interdiction de parler de prisonnier, tout le monde utilise le terme "pensionnaire" ou "bénéficiaire". Mais ces pensionnaires actuellement pris en charge, nous ne pourrons pas les interroger, ni même les voir. Nos demandes ont été refusées pour, nous dit-on, respecter la vie privée de ces hommes mais aussi par mesure de sécurité.
A côté de l’entrée du centre, un bâtiment attire toujours la curiosité des visiteurs. Une piscine, un sauna, une salle de sports, des baby-foot… Les activités récréatives et le sport font partie en effet du programme de réinsertion. Mais les pensionnaires n’ont pas vraiment le temps d’en profiter. Ils restent en principe trois mois dans le centre, une période renouvelable en cas de prolongation des soins. Toute la journée, les hommes passent par plusieurs activités. Des cours pour réfléchir à leur réinsertion et leur place dans la société, mais aussi des cours de religion afin de sortir de l’idéologie extrémiste. 116 référents religieux sont chargés du réapprentissage des textes coraniques, l’islam conservateur reste de rigueur, mais l’objectif des experts religieux est de casser le cercle de la violence. En parallèle et dès l’arrivée dans le centre, les psychologues travaillent sur les problèmes et les besoins de chacun. Comme le souligne le docteur Meshal Maguil : "Si un pensionnaire retourne dans notre société sans avoir réglé ses problèmes psychologiques, il va rebasculer. Être dans un état de stress ou instable entraîne la récidive. Cette prise en charge avant un retour dans la société permet d’augmenter les chances de réussite".
Art thérapie et espace pour les familles
Le docteur Bader Elkhazim, spécialiste de l’art thérapie, nous fait visiter une immense galerie où sont exposés les dessins d’ancien détenus. Dès son arrivée, chaque pensionnaire reçoit les outils pour exprimer ses émotions, son état d’esprit. Ensuite, les psychologues vont adapter leurs travaux aux besoins de chacun. "Ici, ce sont les dessins d’un ancien détenu de Guantanamo. Au début, vous pouvez voir qu’il a peint avec de l’orange et du noir qui rappelle sa tenue de prisonnier, sa souffrance. Sur chaque tableau, il y a cet œil qui le surveille tout le temps. Comme ces gardiens qui l’ont privé de son intimité. Sur le dessin d’après, peint plus tard, il y a de l’espoir, des fleurs… Vous voyez, il a énormément évolué dans sa tête et donc dans sa création".
Le directeur du centre nous fait entrer dans une petite maison, dédiée aux visites familiales. Une chambre pour les parents, une autre pour les enfants, une cuisine ouverte sur le salon, un petit jardin. "La famille est un élément central de notre dispositif. A partir du moment où la personne doit un jour réintégrer la vie en société, il faut le préparer. On ne peut pas lâcher ces hommes tout d’un coup chez eux sans l’avoir anticipé. Ils n’ont pas vécu avec leur épouse depuis longtemps, ils n’ont pas vu grandir leurs enfants, il faut retisser la confiance entre eux. Ces liens familiaux permettent ensuite d’encadrer le pensionnaire et de limiter la récidive".
Une prise en charge très humaine qui semble si loin de ce que peut être la justice en Arabie Saoudite. Le jour de notre venue au centre Mohamed Ben Nayef, à quelques kilomètres de nous, 37 hommes ont été exécutés à Riyad pour avoir "formé une cellule terroriste" ; l'un d'entre eux a été crucifié, les autres décapités.
L'Arabie saoudite vante une méthode efficace, qui attire les délégations étrangères
Quelle est l’efficacité de cette méthode de prise en charge ? En 2009, les autorités saoudiennes avaient reconnu que 11 ex-détenus passés par le centre avaient quitté le pays pour rejoindre al Qaida. Aujourd’hui, les responsables du centre assurent que 88% des ex-pensionnaires ont totalement rompu avec les organisations terroristes. Un chiffre impossible à vérifier. A la fin de leur séjour au centre, les pensionnaires sont réévalués pendant deux semaines selon 46 critères bien précis. Comme l’explique le docteur Ahmed al Sheikhi : "Est-ce que le pensionnaire traite les autres avec respect, est-ce qu’il accepte la contradiction… Si on voit qu’il est sincère et qu’il n’essaie pas de nous manipuler, alors c’est un comité d’expert qui décide de les laisser sortir. Ceux qui refusent de changer sont renvoyés en prison".
Cette méthode saoudienne intéresse, intrigue les pays du monde entier. Plus de 450 délégations ont visité le centre ces dernières années, des élus, des responsables du renseignement américains, britanniques, belges. Et parmi eux une toute petite poignée de Français.
Par Edith Bouvier et Céline Martelet